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Recrudescence du phénomène dit Kuluna à Kinshasa: Quid du problème ?

Recrudescence du phénomène dit Kuluna à Kinshasa: Quid du problème ?

Tribune

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas d’un simple accident fortuit et spontané de l’histoire. L’explosion de la délinquance juvénile que l’on observe aujourd’hui dans la ville de Kinshasa est liée à l’histoire politique du pays, et déjà à l’époque de la dictature mobutienne, parmi les causes aussi bien lointaines que proches, on peut indexer la zaïrianisation. Ne sachant tenir les rênes des entreprises confiées à leur charge, les requérants nationaux de ces entreprises et maisons de commerce ont contribué à leur faillite, ce qui a entraîné le chômage de millions de travailleurs et la déscolarisation de leurs enfants. La mauvaise gouvernance de l’époque, caractérisée par le népotisme et le clientélisme a clochardisé des centaines de milliers de fonctionnaires qui n’ont plus été en mesure de subvenir aux besoins de leurs familles, avec des conséquences sociales aggravées : augmentation du nombre des enfants de la rue, sorcellerie des enfants, pauvreté, injustice sociale criante…

Les jeunes sont les premières victimes de ce gâchis ; leur avenir est sombre. Beaucoup d’entre eux s’illustrent aujourd’hui dans le phénomène Kuluna qui consiste à s’organiser en bandes. Ceci succèdent aux Pombas, ancienne appellation des délinquants qui, depuis le milieu des années 2000 à Kinshasa, volent, rackettent et blessent avec facilité ou coupent de préférence les bras de leurs victimes au moyen des machettes dont ils sont armés, ou sinon les tuent carrément face à une résistance.

Face à ces gangs, le gouvernement semble désarmé. Certes, il répond à la violence des kuluna par une répression policière tous azimuts, mais celle-ci n’en vient pas à bout et les patrouilles policières ne sont plus fréquentes.

En arrivant à la tête du ministère de la justice, Luzolo Bambi lance l’opération Tolérance zéro pour mener le combat de l’intolérance face aux autorités congolaises qui jadis détournaient sans remords les deniers publics. Cette opération ne s’est pas seulement occupé de personnalités politiques et administratifs mais elle visait à lutter également contre les actes barbares des Kulunas.

L’opération consistait à arrêter l’acteur ou les acteurs des barbaries, les juger en audience publique dans leur lieu du crime, et après condamnation, ils sont transférés vers les prisons qu’on leur choisissait à l’intérieur du pays (Buluwo, Osio,…).

Après son départ de ce ministère en 2012, son successeur ne suit pas les choses sur cet angle. Ainsi après ces périodes, les Kulunas  reprennent leurs activités.

Fin 2013 et début 2014, deux autres opérations sont menées par la Police Nationale Congolaise qui s’appuie sur les services de renseignements congolais. Une opération appelée Likofi (coup de poing) contre les Kulunas, réclamée par la population, qui permet à la police de contenir le mouvement. Cette opération fait cependant l’objet de vives critiques qui pousse le gouvernement congolais à réformer la PNC.

En outre, à cause de la corruption qui ronge plusieurs pans de la société congolaise, la magistrature ne va que très rarement au bout de son action, remettant souvent en liberté des criminels endurcis et récidivistes qui s’empressent de terroriser à nouveau la population. Cette liberté n’honore pas ceux qui sont lésés, et on se demande si cette coutume reflète une justice tournée vers la réhabilitation des délinquants ou simplement un prolongement de l’impunité. Les autorités pénitentiaires elles-mêmes sont tétanisées. La prison en République Démocratique du Congo n’a aucune vertu thérapeutique.

De nombreux observateurs pensent que la guéguerre entre l’Etat congolais et les délinquants qui écument Kinshasa ne peut pas continuer uniquement par des coups. Il est demandé au gouvernement de tenter une autre approche, par exemple d’améliorer les fondements économiques pour trouver des débouchés d’emploi à tous ces jeunes désœuvrés qui ont trouvé dans la violence gratuite un raccourci répréhensible, la réscolarisation ou le recyclage des délinquants. L’intégration économique est le fondement de l’intégration sociale.

Après plusieurs critiques et bavures reprochées par certaines organisations des droits de l’homme à la méthode opératoire des opérations Likofis lancée par la PNC, avec un peu de latence, le phénomène Kuluna refait surface dans la ville de Kinshasa.

En 2020, une méthode est trouvée et qui semble marcher mais cette fois-ci de manière un peu douce sans écoulement de sang contre ce phénomène barbare. Le président trouve à travers les Kulunas une main d’œuvre nécessaire pour le service national. Au lieu de les exterminer, il préfère les affecter dans les activités d’intérêt national. C’est ainsi qu’il instruit le gouvernement de développer le Service National créé depuis 1997, en multipliant le nombre de ces centres. Afin de trouver un moyen plus calme pour rééduquer sévèrement ces jeunes Kulunas par le travail communautaire.

Fin 2020, la police embarque quelques centaines de Kulunas, premier groupe qui débarque à Kaniama Kasese dans la province de Lualaba, afin d’être imprégnés du patriotisme et travailler dans les plantations pour le compte du Service National.

La PNC avait décidé d’intensifier les patrouilles pédestres, motorisées et effectuer les bouclages ciblés pour mettre hors d’état de nuire, tous les gangsters qui s’attaquent aux paisibles citoyens. la PNC avait même décidé de récupérer ses éléments commis à la sécurité des privés, en vue de renforcer les commissariats et sous commissariats de la police, pour atteindre cet objectif des Kulunas Zéro à Kinshasa. En juillet 2021, nous avons même vu la création d’une nouvelle unité spécialisée dénommée Anti-Kuluna, chargée de lutter contre les bandits urbains. Au moins une centaine des policiers étaient affectés dans cette unité, dans une ville de près de 10 millions d’habitants. Cette brigade, aussi spéciale fut-elle, pouvait-elle réussir là où les 522 sous-commissariats et 324 postes de police de Kinshasa ont échoué ?

Depuis la levée du couvre-feu, le banditisme urbain a repris avec force à Kinshasa.

Les autorités de Kinshasa ont bel et bien mouillé leur maillot dans la lutte contre le gangstérisme. Cependant, les nombreuses plaintes, les reportages poignants radiotélévisés et les dossiers judicaires à charge des kulunas sont des éléments qui permettent de comprendre que le phénomène est loin d’être maitrisé à Kinshasa

Pour mettre fin à ce phénomène sémant la terreur à Kinshasa et dans l’arrière pays, nous suggérons que les gouvernants  commencent par définir le kuluna comme du terrorisme national, sollicitent du Parlement l’adoption d’une loi portant sur la lutte contre le kuluna, car les populations civiles victimes de la délinquance juvénille ont aussi des droits et libertés reconnus par la constitution congolaise.

Procéder à l’identification volontaire des kuluna et enfants de rues. Prévoir leur cantonnement. Et les orienter selon leurs aptitudes vers l’INPP ou le service national pour l’apprentissage des métiers comme l’avaient souhaite le 19 février 2019, le Conseil National de Sécurité.

Me Mukendi Malaba Gautier-Benjamin

Avocat et Analyste

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