Il y a 50 ans, Kinshasa fut le théâtre d’un événement marquant non seulement pour le monde de la boxe, mais pour l’histoire de la culture africaine et afro-américaine : le “Combat du Siècle” entre Muhammad Ali et George Foreman, également appelé le “Rumble in the Jungle.” Ce combat titanesque, initialement prévu pour le 25 septembre 1974, fut reporté au 30 octobre suite à une blessure de Foreman. Les attentes montaient dans la capitale zaïroise, car ce duel promettait d’être spectaculaire et symbolique.
George Foreman, alors invaincu, était connu pour sa puissance redoutable : 40 victoires dont 37 par KO. Un champion au physique imposant et au passé impressionnant. Foreman arrivait à Kinshasa auréolé de sa victoire éclatante contre Joe Frazier, et d’un parcours où ses coups de marteau détruisaient ses adversaires en un rien de temps. De son côté, Muhammad Ali, célèbre pour son style fluide et ses provocations, était attendu comme une star en Afrique.
Le président Mobutu Sese Seko, souhaitant attirer l’attention du monde sur le Zaïre, finança l’événement avec 5 millions de dollars et le déroula dans le stade du 20 mai de Kinshasa. Ali et Foreman arrivèrent quelques semaines avant le combat, en même temps qu’une délégation impressionnante d’afro-américains du showbiz, parmi lesquels James Brown. Kinshasa était en effervescence, accueillant les boxeurs comme des héros, incarnant pour les Congolais la force et la résilience.
Dès les premiers jours, la ville vibrait de la présence de Muhammad Ali. Charismatique et provocateur, Ali gagna rapidement le cœur des Kinois qui l’acclamaient dans les rues en chantant “Ali, boma ye !” (Ali, tue-le !). Sa popularité explosait, tandis que Foreman, avec son imposant chien de garde, symbolisait, malgré lui, des souvenirs douloureux de la colonisation belge.
À 4 heures du matin, pour permettre une diffusion en direct aux États-Unis, le “Combat du Siècle” débuta dans l’ambiance moite de Kinshasa. Ali, confiant, employa une tactique inédite : le “rope-a-dope”, consistant à se reposer sur les cordes et absorber les coups, usant de sa condition physique hors norme pour épuiser Foreman. Alors que Foreman frappait avec puissance, Ali, esquivant et contrant, semblait danser sur le ring, restant maître de la situation.
Au 8e round, la fatigue de Foreman devenait évidente. Ali, observant la faiblesse de son adversaire, frappa avec précision et puissance, faisant tomber le champion en titre. Foreman, épuisé et incapable de se relever, était battu. La foule explosa, et le stade tout entier entonna un dernier “Ali, boma ye !” qui résonna dans Kinshasa comme un cri de victoire pour tout un continent.
Cette nuit-là, Ali reprit sa couronne de champion du monde, mais le combat signifiait bien plus : il marquait une victoire symbolique pour l’Afrique. L’événement représenta pour le président Mobutu une réussite diplomatique et pour l’Afrique noire, l’occasion de s’affirmer sur la scène mondiale. La rencontre des cultures afro-américaine et congolaise, avec les valeurs de fierté et de résistance, trouvait ici une expression profonde.
L’après-combat vit émerger un échange culturel inédit : des pans de la culture afro-américaine se diffusèrent au Zaïre, et la communauté locale découvrit la richesse et la force de son propre héritage culturel. À travers Ali, Kinshasa avait accueilli un “frère” et non seulement un boxeur ; un homme dont l’engagement pour les droits civiques faisait écho aux luttes africaines pour l’indépendance.
Cette nuit du 30 octobre 1974 reste gravée dans l’histoire de la boxe et dans la mémoire collective africaine. Ali avait redonné un élan de fierté, transcendé les frontières, et incarné le rêve d’une Afrique debout, résiliente.
LB