Par Léon Engulu III, Philosophe, Ingénieur agronome,Ancien Coordonnateur intérimaire du Mécanisme National de Suivi.
Le mercredi 23 octobre 2024 le Présidient Félix Tshisekedi a annoncé à Kisangani sa volonté damorcer un processus de révision de la constitution, déjà révisée une première fois par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 et la rappelé lors de son discours sur l’Etat de la nation du 11 décembre 2024, invoquant la nécessité d’éliminer les failles qui ralentissent l’appareil étatique de la RDC.
A Kisangani Félix Tshisekedi avait souligné le caractère dépassé de la constitution de 2011 qui ne correspond plus aux réalités congolaises. L’opposition et une frange de la société civile sont opposées à cette révision suspectant Félix Tshisekedi de vouloir prolonger son pouvoir et de détourner l’attention des priorités économiques et sociales. Mais de nombreuses difficultés de gouvernance donnent raison au Président de la République et le temps d’une réflexion sincère est venu.
L’origine des failles
La Constitution de 2006 de la République Démocratique du Congo a été élaborée après une violente guerre civile qui a divisé le pays. Dans ce contexte post-conflit la communauté internationale a apporté son soutien pour favoriser la réconciliation et l’unité nationale et permettre l’établissement de structures gouvernementales capables d’assurer un fonctionnement politique efficace. Cette constitution a été adoptée après différents processus de dialogues et de consultations populaires avec les acteurs politiques, la société civile et les représentants des provinces. Le processus constitutionnel a apaisé les tensions en optant pour la stabilité d’un parlementarisme rationalisé. Lobjectif était d’établir des structures gouvernementales permettant un meilleur fonctionnement politique. Des révisions ont été apportées à la constitution en 2011 par voie législative sous la présidence de Joseph Kabila, notamment la réduction à un tour du scrutin présidentiel.
Les conditions de la naissance d’une constitution sont capitales pour saisir l’esprit de ses rédacteurs et une lecture attentive de la Constitution de 2006 montre qu’elle a été rédigée en négligeant les principes fondamentaux de la légistique constitutionnelle. A fil du texte l’esprit des anciens belligérants révèle la volonté d’établir une sorte de séparatisme planifié, affirmant la volonté des provinces de se soustraire au pouvoir central dans le cadre d’une décentralisation. Mais, et c’est la raison principale motivant une nouvelle révision de la Constitution déjà révisée de 2011, l’organisation décentralisée de l’État congolais n’est pas prévue dans la forme de l’État énoncée à larticle 1er : « La République Démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un Etat de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laïc ».
Par conséquent sont sans fondement réel les articles 3 introduisant des « entités décentralisées », 123 sur « la libre administration () des entités territoriales décentralisées, de leurs compétences et de leurs ressources », 181 sur la solidarité entre les entités territoriales décentralisées, 194 sur la loi fixant l’organisation et le fonctionnement des entités décentralisées et 220 interdisant la réduction des prérogatives des entités territoriales décentralisées. La décentralisation, comme le fédéralisme, est une forme d’organisation de l’État et doit être explicite dans l’article de la constitution qui la détermine. Pour le comprendre, il faut imaginer une constitution qui dans sa forme ne prévoirait pas le fédéralisme, mais qui lintroduirait à travers quelques articles épars, cela serait totalement inacceptable.
Comparativement en France, dont le régime semi-présidentiel est similaire à celui de la RDC, le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». Si la décentralisation n’est pas prévue dans la forme de l’État, elle ne peut pas l’organiser.
Pourquoi réviser
La constitution formalise l'État politique d'une nation, et elle est susceptible d'être révisée en fonction des évolutions socio-économiques et politiques. Linadéquation de la structure politique de l'État, le renforcement des libertés fondamentales, les situations de crise, l'évolution du droit international, un fonctionnement insuffisant de l'appareil de l'État, mais aussi la correction des erreurs dans le texte initial sont autant de raisons valables pour modifier ou changer de constitution afin de rencontrer les aspirations du souverain primaire.
Le cadre juridique de l’organisation de l’État doit définir de façon rationnelle les principes fondamentaux et les règles de fonctionnement, et nous venons de démontrer que la Constitution de 2006 révisée en 2011 est fautive. Elle introduit des éléments d’organisation non prévus dans la forme de l’État. Cette constitution n’assure pas la stabilité politique car les entités dites « décentralisées » n’ont pas les moyens de leurs ambitions et le coût de leur fonctionnement met en péril la cohésion nationale. La décentralisation est le résultat d’un long processus d’évolution de l’organisation administrative, qui est à un stade embryonnaire en République démocratique du Congo ou seule la déconcentration convient au regard des moyens disponibles. Les provinces sont faiblement productives, certaines ne participent pratiquement pas à la création de richesses nationales et l’État doit veiller au développement équilibré de l’ensemble du pays.
Léchec de la décentralisation congolaise est patent, les provinces ne traduisent pas en actes les décisions du pouvoir central, elles sont à la recherche d’elles-mêmes, l’essentiel de leurs maigres ressources étant affecté à leur fonctionnement plutôt qu’au développement de leurs potentiels économiques. L’échec d’une décentralisation non prévue par la forme de l’État suffit à réviser la constitution afin de préciser les principes de la collaboration entre l’État et les provinces dans le cadre d’une déconcentration mieux en mesure de faire appliquer les décisions du pouvoir central pour un développement équilibré. La problématique du fonctionnement des provinces nécessite une réflexion de fond sur le rôle des assemblées provinciales qui marchandent leurs motions de défiances et leur faible production législative, leurs édits sont quasi inexistants. Le rôle du sénat pourrait être orienté vers un meilleur contrôle et accompagnement des provinces en veillant à l’application locales des décisions du pouvoir central.
La nouvelle constitution devra mieux encadrer le processus législatif en fixant les procédures d’élaboration, d’adoption et d’application des lois. L’agenda parlementaire doit être fixé paritairement par le Gouvernement et le Parlement, selon le principe que c’est le Gouvernement qui conduit la politique de la nation et non le Parlement. On observe en République démocratique du Congo que le parlement légifère en électron libre sans toujours appuyer le programme de la majorité au pouvoir. Il serait judicieux de placer le Premier ministre au deuxième rang protocolaire de l’État, comme c’est le cas en France.
Les motifs de révision de la Constitution révisée de 2011 sont nombreux, notamment la nécessité de revenir à l’élection présidentielle à deux tours pour rétablir le jeu des alliances électorales qui contribue à la cohésion nationale. Les conclusions des Etats-généraux de la Justice appellent également la révision de certaines dispositions de la Constitution, notamment de l’organisation de l’ordre juridictionnel et la suppression des compétences pénales des tribunaux de paix qui sont une cause de classement dans les régimes autoritaires. Le Conseil Supérieur de la Magistrature doit être modifié en Conseil Supérieur de la Justice, cette dernière ne pouvant se réduire à la seule magistrature.
Comment réviser
Les articles 218, 219 et 220 de la Constitution révisée de 2011 prévoient les modalités de révision, à l’initiative du Président de la République, du Gouvernement, des deux chambres parlementaires et par une pétition de 100 000 congolais. L’article 220 qui interdit la révision de certaines dispositions doit être déverrouillé par nécessité, afin de le mettre en adéquation avec l’article 1er qui ne prévoit pas la décentralisation dans l’organisation et la forme de lEtat. Plusieurs autres articles doivent manifestement être révisés pour refléter les réalités actuelles de la société congolaises et remédier aux difficultés de fonctionnement de son organisation.
Le processus de révision initié par le Président Félix Tshisekedi doit permettre aux Congolais d’exprimer les valeurs qui leurs sont chères, en tenant compte des affres de la guerre imposée par le Rwanda dans l’Est de la République démocratique du Congo. Les Congolais vont réaffirmer leurs aspirations de développement et préciser la forme de l’État la plus appropriée au regard des défis à relever. Les forces vives doivent être mobilisées et entendues, partis politiques, société civile, confessions religieuses, administrations, corps de métiers, mais aussi les intellectuels, philosophes, sociologues, juristes et économistes. La volonté de révision doit remonter de la base au sommet telle une lame de fond pour re-constituer organisation de l’État congolais et donner un nouveau souffle à ses efforts de développement.