Par Alain Baendo
Alors que les rebelles de l’AFC/M23 gagnent du terrain à l’Est, le pouvoir de Kinshasa multiplie les rencontres diplomatiques. Mais la population s’enfonce dans la misère, et le dialogue national tant attendu semble toujours hors de portée. Retour sur une crise multidimensionnelle qui menace l’unité nationale.
Doha ou la diplomatie spectacle
Le 9 avril 2025, la capitale du Qatar devait accueillir un nouveau round de négociations impliquant les autorités congolaises et les représentants de l’AFC/M23. Cependant, cette rencontre n’a pas eu lieu comme prévu. Les raisons exactes de ce report seront communiquées ultérieurement, mais il est clair que des conditions et des exigences de part et d’autre bloquent actuellement cette rencontre.
Exigences du gouvernement congolais :
- Le retrait total et immédiat des forces de l’AFC/M23 des zones occupées.
- L’engagement formel des rebelles à participer uniquement à des négociations sans condition préalable.
- L’obligation pour l’AFC/M23 de se désarmer et de se conformer aux décisions des autorités congolaises avant toute négociation.
- L’intégration de la question de l’occupation rwandaise dans les discussions, considérée comme un point crucial pour la RDC. Exigences de l’AFC/M23 :
- La reconnaissance politique et légitime de l’AFC/M23 comme un interlocuteur valable et une partie prenante dans le processus de paix.
- La restructuration du gouvernement congolais pour inclure des représentants des communautés de l’Est du pays, qui se sentent marginalisées.
- L’amélioration des conditions de vie et de sécurité dans les zones contrôlées par l’AFC/M23, ainsi qu’une promesse d’autonomie partielle pour ces régions.
- L’engagement à négocier sans conditions préalables de la part de la RDC. Contrairement à certaines interprétations, l’AFC/M23 n’a pas expressément conditionné les négociations à un retrait des troupes étrangères avant toute discussion, mais a exigé un cadre de négociation plus équilibré, y compris la reconnaissance des revendications des populations de l’Est et l’implication des acteurs externes dans le processus de sécurisation de la région. Le retrait des forces étrangères (notamment rwandaises) demeure une question indirectement liée aux discussions sur la sécurité régionale, mais ne constitue pas une prérequis absolu selon les derniers éléments de leur position. L’accord de Dar-es-Salam : un pilier oublié
Un autre aspect central du conflit est l’Accord de Dar-es-Salam, signé en 2013, qui visait à résoudre les tensions entre le gouvernement congolais et les rebelles du M23. Cet accord avait notamment pour objectifs :
Le désarmement des groupes armés et la démobilisation des rebelles ;
La création d’un environnement sécurisé pour permettre le retour des réfugiés et la réinstallation des populations déplacées ;
L’intégration des anciens rebelles dans le processus politique congolais, notamment au sein des forces armées et des institutions gouvernementales ;
Un mécanisme de suivi supervisé par la Monusco, l’ONU et les pays de la région, pour garantir la mise en œuvre de ces engagements.
Malheureusement, cet accord n’a pas été pleinement respecté, avec des violations continues de la part des rebelles et des failles dans la mise en œuvre des mesures prévues, notamment en matière de désarmement. La méfiance entre les parties a entravé la réalisation effective de cet accord, contribuant ainsi à l’escalade du conflit.
Le cœur du problème est aussi interne
Si le rôle du Rwanda dans l’armement et le soutien logistique à certains groupes rebelles est désormais incontestable, il serait réducteur de limiter la crise à une simple guerre d’agression extérieure. Le conflit en RDC s’appuie aussi sur des frustrations internes : des revendications anciennes, l’inefficacité des institutions congolaises et une exclusion systématique de certaines communautés. L’AFC/M23, loin d’être simplement un instrument extérieur, bénéficie également de ces fractures internes, amplifiées par l’incapacité du pouvoir central à restaurer un climat de paix durable.
Le pays vit aujourd’hui une double opposition : l’une non armée, qui s’exprime à Kinshasa par des manifestations et des grèves, et l’autre armée, qui prend le contrôle de zones entières à l’Est. Cette situation de double fracture complique l’émergence d’un véritable dialogue national inclusif.
Le silence de Kinshasa sur l’Ituri
Au-delà de la situation de l’Est, une autre rébellion en Ituri prend de l’ampleur, avec des incursions armées en provenance de l’Ouganda. Pourtant, le pouvoir central semble garder un silence gêné sur ce sujet. Est-ce une omission stratégique, un signe de désaveu ou tout simplement un aveu d’impuissance face à la situation ? L’absence de réaction claire de Kinshasa soulève des interrogations sur la capacité du gouvernement à assurer la sécurité nationale dans toutes ses régions.
Consultations politiques : exclusion ou solution ?
Dans la capitale, le président Félix Tshisekedi poursuit actuellement des consultations avec l’Union sacrée pour former un « gouvernement de crise » ou « gouvernement de guerre ». Cette initiative a rapidement été rejetée par l’opposition, qui dénonce un processus biaisé et accuse le Président de jouer à la fois le rôle d’arbitre et de capitaine, sans offrir de garanties réelles d’un dialogue véritablement inclusif.
Les propositions des acteurs religieux et des organisations de la société civile, telles que le Pacte social pour la paix, qui incluent toutes les parties prenantes (majorité, opposition, diaspora, société civile, églises, autorités traditionnelles, etc.), ont été rejetées par le gouvernement de Kinshasa. L’absence de dialogue avec ces acteurs témoigne de la méfiance mutuelle qui prévaut actuellement, et rend toute sortie de crise difficile à envisager.
Kabila refait surface, la population s’interroge
Dans ce climat déjà tendu, l’annonce du retour de l’ancien président Joseph Kabila dans l’Est du pays suscite de nombreuses interrogations. Est-ce un geste politique pour favoriser la réconciliation régionale, une simple manœuvre de repositionnement personnel, ou une tentative de trouver une voie de sortie à la crise ? La situation laisse place à de nombreuses hypothèses, mais le silence de Kabila sur ses intentions et ses objectifs entretient le mystère, laissant une population inquiète et perplexe.
Des prisons ouvertes, des accords secrets ?
La libération récente de plusieurs figures emblématiques incarcérées à la prison de Makala a pris de court l’opinion publique. Est-ce un signe d’ouverture vers un dialogue sincère et une paix négociée, ou simplement le prélude à des alliances politiques secrètes ? L’absence de transparence sur ces libérations renforce la méfiance de la population, qui peine à croire à un véritable changement de cap politique.
Pendant ce temps… le quotidien s’effondre
Dans la capitale, les inondations aggravent une situation déjà sociale et économiquement catastrophique. Les habitants vivent dans la précarité, confrontés à l’inflation, à la dégradation des services publics et à la montée de la pauvreté. La population, fatiguée et frustrée, regarde impuissante les tractations diplomatiques et les conversations politiques se multiplier, sans que des résultats tangibles ne viennent améliorer leur quotidien.
Sécurité contre minerais : un marché dangereux
Les partenariats sécuritaires avec des puissances comme les États-Unis soulèvent de vives inquiétudes. En échange de l’aide militaire ou logistique, les ressources minières stratégiques du pays sont bradées à des prix dérisoires, sans que la population congolaise n’en tire un quelconque bénéfice. Qui gagne réellement dans cette équation ? Pas le citoyen congolais, qui continue de souffrir dans un système de gouvernance inefficace et corrompu.
Sortir du chaos : les clés d’un renouveau
Pour espérer la paix et la stabilité, la RDC devra :
Organiser un dialogue intercongolais sincère et inclusif, au-delà de l’Union sacrée ;
Renforcer et moraliser l’armée, en mettant fin aux infiltrations et à la corruption ;
Réformer les institutions, garantir la justice et lutter contre l’impunité ;
Redéfinir les priorités économiques, avec une gestion transparente des ressources naturelles ;
Impliquer la société civile, les Églises et la diaspora dans la reconstruction nationale.
Conclusion : Le temps presse
La République Démocratique du Congo est à la croisée des chemins. Les erreurs du passé rattrapent le présent, et la population n’attend plus de discours, mais des actions concrètes. Si les dirigeants actuels ne changent pas de cap, la balkanisation du pays, tant redoutée, pourrait cesser d’être une menace théorique pour devenir une réalité tragique. Le peuple congolais mérite mieux qu’une diplomatie de façade. Il est grand temps d’agir pour construire un avenir de paix, de justice et de prospérité pour tous.