Alors que la République démocratique du Congo s’enlise dans une crise judiciaire liée à un obscur projet de construction de prison, le ministre d’État à la Justice, Constant Mutamba, se retrouve en première ligne… mais pas pour de bonnes raisons. Dans une manœuvre jugée par plusieurs observateurs comme une tentative d’influence sur le pouvoir judiciaire, Mutamba a demandé la récusation du Procureur général près la Cour de cassation, Fermin Mvonde — une démarche rarissime, et politiquement explosive.
Le projet incriminé porte sur des fonds publics alloués à la construction d’un centre pénitentiaire. Le Parquet soupçonne un détournement de ces fonds, tandis que le ministère de la Justice crie au complot. Dans un communiqué au ton particulièrement agressif, Mutamba dénonce une « campagne mensongère » et accuse le Parquet de mener une « obstruction organisée ». Mais derrière cette posture défensive se dessine un malaise plus profond : celui d’un ministre qui semble vouloir régler ses comptes politiques sous couvert de défendre l’administration.
Une récusation aux relents politiques
La lettre de récusation envoyée par Mutamba au Procureur général repose sur une accusation subjective d’« inimitié » et de « conflit d’intérêt ». Il reproche à Fermin Mvonde de ne pas faire preuve de neutralité, tout en avançant que l’approbation préalable de la Première ministre légitimerait à elle seule le projet.
Mais cette argumentation interroge : depuis quand une approbation politique exonère-t-elle d’un contrôle judiciaire sur l’utilisation de fonds publics ? En tentant de délégitimer l’enquête au nom d’une validation politique, Mutamba envoie un signal préoccupant sur sa conception de la séparation des pouvoirs.
L’arme de la victimisation
Comme souvent dans les affaires impliquant de hauts responsables politiques en RDC, l’argument du « complot » refait surface. Constant Mutamba également député et ancien opposant devenu ministre — se présente comme la cible d’une machination judiciaire orchestrée pour l’écarter. « Acharnement », « justice instrumentalisée », « campagne d’intimidation » : le vocabulaire employé vise à inverser les rôles, en positionnant un homme d’État comme victime d’un système qu’il représente pourtant au plus haut niveau.
Or, à y regarder de plus près, cette victimisation sonne comme un écran de fumée. Loin d’apporter la transparence attendue, Mutamba évite soigneusement d’entrer dans les détails financiers ou techniques du projet de prison. La légalité du marché, les preuves d’utilisation des fonds, et surtout la localisation exacte du site restent floues. L’affirmation selon laquelle « les deniers non utilisés ne peuvent être détournés » constitue un sophisme juridique douteux : un fond bloqué ou mal engagé peut très bien être sujet à enquête s’il existe un soupçon de malversation.
Une stratégie risquée
Cette confrontation directe avec le parquet général risque surtout d’aggraver les tensions déjà vives entre l’exécutif et le judiciaire. Alors que le pays engage des réformes promises dans le secteur de la justice — dont Mutamba se revendique le porteur — sa posture pourrait miner toute crédibilité. Comment prétendre lutter contre les « antivaleurs » dans la magistrature, tout en s’érigeant contre une enquête légitime menée sur sa propre gestion ?
À vouloir politiser une affaire judiciaire, le ministre Mutamba joue un jeu dangereux. Sa tentative d’évincer le Procureur général ouvre un précédent grave et risque d’institutionnaliser le principe d’auto-immunité pour les membres du gouvernement.
Un message confus au sommet de l’État
Ironie supplémentaire : tout en s’attaquant violemment au parquet, Mutamba assure soutenir « les options du Chef de l’État pour la justice ». Mais comment concilier cette loyauté affichée avec des attaques aussi virulentes contre l’indépendance judiciaire, pourtant chère au président Tshisekedi ? À vouloir tout justifier, même l’injustifiable, le ministre s’enferme dans une posture intenable.
La justice congolaise, déjà fragilisée par de multiples ingérences, n’avait sans doute pas besoin d’un tel affront. Ce bras de fer, aussi théâtral que périlleux, pose une question de fond : à qui profite réellement cette justice que l’on prétend défendre ?
Baromètre.cd