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L’Affaire Epstein, des répercussions dans les Grands-Lacs ?

Une anticipation de Léon ENGULU III

RDC – 24 juillet 2025 – L’affaire Epstein pourrait avoir des répercutions à première vue inattendues sur le processus de paix dans les Grands Lacs mené par les médiations des Etats-unis et du Qatar entre les RD Congo et le Rwanda et entre le Gouvernement congolais et l’AFC/M23, qui ont débouché sur les accords de Washington et de Doha.

L’affaire Espstein, révélée au grand jour avec son arrestation en juillet 2019, concerne un vaste réseau de trafic sexuel orchestré par le financier Jeffrey Epstein, décédé en prison. L’onde de choc de ce scandale s’est amplifiée avec la publication récente de documents judiciaires et de témoignages exposant de nombreuses personnalités dont le président américain Donald Trump. Ces révélations sont particulièrement dommageable pour l’image de Trump, surtout auprès de sa base ‘Make America Great Again’ (MAGA), construite sur la base d’attaquer les élites corrompues, et l’association de Trump avec ce scandale entraine une perte de confiance significative. L’image de redresseurs de torts de Trump est sérieusement effritée par cette affaire, et semble démobiliser une partie de ses partisans dans la perspective des élections de mi-mandat, affaiblissant sa capacité à maintenir une majorité au Congrès et, par extension, à imposer sa ligne diplomatique sur la scène internationale.

Alors que l’attention médiatique internationale et américaine est retenue par les révélations continues et les répercussions politiques de l’affaire Jeffrey Epstein, les Congolais doivent anticiper sur les dangers potentiels qui pèsent sur la mise en œuvre des accords de Washington et de Doha. Malgré la signature de ces textes, des rapports font état de combats intenses à Masisi et Rutshuru entre les Wazalendo et le M23, qui restent des points chauds. Les FARDC et les Wazalendo ont mené des offensives pour tenter de reprendre le contrôle de zones occupées par le M23. Des informations mentionnent de violents combats entre la milice de pillage AFC/M23 et des patriotes congolais autour du parc des Virunga sur l’axe Kazaroho-Kahunga.

Ces violations du cessez-le feu, notamment annoncé par l’accord de Doha, soulignent la difficulté de faire respecter les trêves sur le terrain. La situation reste tendue et volatile, avec une persistance des hostilités, malgré les accords diplomatiques.
Cette situation tend à indiquer que le Rwanda et sa milice AFC/M23 tentent de tirer profit d’une administration américaine potentiellement affaiblie et distraite par l’affaire Epstein. L’analyse fine suggère que Kigali et sa milice AFC/M23 sont engagés dans un test de la réactivité américaine et observent attentivement la scène politique de Washington pour évaluer la capacité et la volonté des États-Unis à maintenir leur pression diplomatique et à garantir le respect de l’accord de Washington du 27 juin 2025.

Leur calcul repose sur plusieurs points. D’abord la distraction générée par l’affaire Epstein est une aubaine pour Kigali et ses sbires. Si l’administration américaine, de la Maison Blanche au Département d’État et au Pentagone, est accaparée par des scandales internes, ses ressources et son énergie dédiées à des conflits lointains comme l’Est de la RDC risquent d’être dispersées. Le pari du Rwanda et du M23 est que Washington aura d’autres chats à fouetter au vu de l’ampleur que pourrait prendre l’affaire Epstein, reléguant le conflit des Grands Lacs à une priorité secondaire. Ensuite, Kigali, traditionnellement soutenue par les Démocrates américains, compte sur une administration des Républicains qui pourrait bientôt être perçue au plan international comme affaiblie ou compromise par le grand scandale de mœurs qu’est l’affaire Epstein, avec une diminution de sa crédibilité et de son autorité.

Ce développement signifierait que les menaces de sanctions ou les avertissements américains pourraient être considérés comme moins crédibles par Kigali. De son côté, Washington pourrait hésiter à les appliquer pleinement, craignant de créer d’autres fronts de crise ou manquant simplement du capital politique nécessaire pour exercer une pression efficace pour la mise en œuvre de l’accord bilatéral entre la RDC et le Rwanda et son annexe qatarie avec l’AFC/M23. Une Amérique embourbée dans ses propres problèmes domestiques perdrait de son poids pour faire respecter les engagements des parties.

En poursuivant les combats sur le terrain, il est clair que Kigali joue la carte du cynisme en pariant sur une présidence Trump submergée par les défis politiques internes et incapable de se réinvestir massivement dans une médiation exigeante sur fond de perte d’autorité de Donald Trump. Cette situation offrirait un boulevard pour l’audace belliqueuse de Kigali.

Enfin, une administration américaine diminuée au plan international créerait un terrain propice à l’opportunisme régional, en incitant le Rwanda et son AFC/M23 à créer un fait accompli sur le terrain avant qu’une nouvelle orientation politique ou une reprise en main des dossiers ne soit possible. Ils chercheraient alors à consolider ou étendre leur contrôle sur des zones stratégiques, modifier le rapport de forces en leur faveur par des avancées militaires, et provoquer des réactions pour évaluer la mollesse des réponses internationales.

Face à cette anticipation lucide, la mobilisation derrière le Président Félix Tshisekedi ne doit pas faiblir, et l’armée congolaise doit être menée par des officiers loyaux et compétents. Les récentes arrestations de l’ancien Chef d’Etat-major général Chiristian Tshiwewe et du chef de la Maison militaire Frank Ntumba dans le cadre du démantèlement d’un vaste réseau de conspirateurs sont un signe de vigilance accrue des services de renseignement républicains et loyaux aux institutions. De source sûre, la traque des infiltrés et des corrompus manipulés par Kigali devrait s’intensifier au cours des prochaines semaines dans le cadre d’une structure dont le projet serait déjà sur la table du Président Félix Tshisekedi. Dans l’attente des développements dans les prochains jours et semaines, les autorités congolaises, fortes du soutien du peuple, doivent demeurer vigilantes et résolues. Chaque transgression des accords doit être dénoncée, et nos capacités de défense et notre diplomatie doivent être renforcées pour anticiper les développements inattendus. L’intégrité territoriale et la souveraineté de la RDC ne sont pas négociables.

Pour faire face à toute alternative et mettre le processus de paix à l’abri d’une éventuelle défaillance personnelle de Donald Trump dans le cadre de l’affaire Epstein, une Conférence Internationale de Consolidation de l’Accord-Cadre d’Addis-Abeba est plus que jamais à l’ordre du jour. Cette conférence viserait à mettre les accords de Washington et de Doha en pleine cohérence avec les cadres de résolution précédents, notamment les résolutions du Conseil de Sécurité et les initiatives de paix.

Cette conférence devrait réunir l’ensemble des partenaires de l’Accord-Cadre d’Addis-Abeba – l’ONU, l’Union Européenne, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Belgique – ainsi que les partenaires financiers de cet accord, la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement (BAD). Devraient également y prendre part les garants régionaux de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba que sont l’Union Africaine (UA), la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), et la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), avec la participation du Qatar.
Cette Conférence, idéalement tenue sous le leadership des États-Unis, malgré leurs turbulences internes, permettrait de réaffirmer un consensus international fort impliquant les pays de la région de manière multilatérale et de sanctuariser le processus de paix au-delà des aléas politiques conjoncturels. L’inaction face aux conséquences inattendues de la politique intérieure des Etats-Unis peut coûter cher à l RD Congo. La classe politique, et la société civile emmenée par des personnalités comme le Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege devraient se mobiliser pour la tenue d’une telle conférence internationale de la consolidation des accords de Washington et de Doha.

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